En général, ils partent soulagés, carrément débarrassés, tout légers d’avoir déposé le fardeau, c’est lourd, un être vivant, ils partent, donc, sereins, même, sans un regard, sans laisser un sou, que leur importe, le refuge paiera pour les soins, pour la nourriture, supportera le poids de la lâcheté et de l’irresponsabilité, consolera, tant bien que mal – et même plutôt mal, tellement ils sont nombreux, eux, les chiens, et tellement peu, eux, les humains à s’engager dans cette galère sans fin et à ne pas faillir-, cette vie brusquement accidentée, ce cœur en état de choc, ils sont là pour ça, c’est leur boulot, et clac, la grille du box refermée sur lui, cage, prison, barreaux, bêton, incarcération, que lui arrive-t-il, il ne comprend rien, parce que les chiens sont comme ça, et puis, comme un coup de tampon, il se retrouve répertorié dans la catégorie «Abandonnés››, c’est alors là que tout bascule, à ce moment précis il est trop tard pour revenir en arrière, on appelle cela «l’irrémédiable ››, le point de non-retour, comme en amour, comme pour les avions, décollage, atterrissage, parfois, même, c’est le crash, mais lui sait qu’on va venir le rechercher, car l’amour, puisque le sien l’est, demeure éternel, tout comme la confiance, celle qu’il a. donnée, sans réserve, sans calcul, parce que les chiens sont comme ça, les humains aussi, parfois, enfin, certains, et longtemps, la tête tournée dans la direction où il a vu partir son dieu, les oreilles dressées, le museau frémissant en un doux mais régulier gémissement, indifférent au bruit, aux autres chiens, au va-et-vient du personnel, aux visiteurs, longtemps il va l’attendre, longtemps il va le prier, parce que, voyez-vous, croyez-moi, vraiment, les chiens sont comme ça. N’achetez pas : ADOPTEZ !
Luce Lapin, Charlie Hebdo, 13 juillet 2016, page 14